Le circuit des officines est incontournable pour les industriels du médicament comme pour un nombre croissant de marques du segment cosmétique, nutrition, bien-être. Pour atteindre leurs objectifs de couverture et de vente, tous ces acteurs doivent dimensionner et structurer leur force de vente de manière optimale - une démarche qui commence nécessairement par des choix stratégiques.
Dans l’univers pharmaceutique comme dans tous les domaines marchands, une force de vente rentable est une force de vente qui rapporte plus qu’elle ne coûte. Partant de cette évidence, tout directeur national des ventes (DNV) doit régulièrement questionner l’organisation et la composition de sa force de vente en tenant compte des priorités stratégiques du laboratoire et du nombre de délégués pharmaceutiques et d’attachés de promotion qu’il peut raisonnablement déployer sur le terrain. Il va de soi que la problématique d’un industriel du médicament déjà solidement implanté différera significativement, en termes d’objectifs et de moyens, de celle d’une jeune marque de cosmétiques faisant ses premiers pas dans le circuit des officines.
Une segmentation rigoureuse des pharmacies
La première question à laquelle tous les DNV doivent répondre est la suivante :
« Est-il pertinent pour mon entreprise que des délégués terrain couvrent la totalité des pharmacies du territoire ? »
Même pour le DNV disposant d’une équipe suffisamment nombreuse pour visiter régulièrement les 20 000 pharmacies de France, la meilleure réponse à cette question est loin d’être obligatoirement « oui ». Seule une segmentation précise des pharmacies permet d’esquisser la réponse optimale pour chaque entreprise/laboratoire et de définir les pharmacies sur lesquelles la force de vente terrain doit se concentrer.
Les critères entrant en ligne de compte pour une segmentation pertinente incluent le type d’officine (centre-ville, zone commerciale, rurale, station touristique) ; le ratio conseil/volume requis par chaque pharmacie ; le chiffre d’affaires ; l’appartenance à un groupement ; la structure et le niveau d’équipement (parapharmacie très développée, site e-commerce) ; le profil du titulaire (innovant, conservateur, proche de la retraite…). La pondération de chaque critère dépend du laboratoire et de sa typologie de produits. Par exemple, une marque de produits solaires qui se lance accordera a priori davantage de poids aux pharmacies des zones balnéaires disposant d’un rayon parapharmacie important qu’aux petites officines rurales.
L’objectif de la segmentation est de hiérarchiser les pharmacies selon leur potentiel de chiffre d’affaires et de développement pour le laboratoire. Si les mieux classées constituent le cœur de cible évident des équipes terrain, cela ne signifie pas que les autres doivent être abandonnées : elles peuvent être confiées à des commerciaux sédentaires (internes ou externes) parce que le laboratoire a un intérêt stratégique ou tactique à ce que ses produits y soient distribués. Pour autant, après analyse, un laboratoire peut parfaitement décider de faire l’impasse sur les officines qui ne seront jamais suffisamment rentables pour justifier l’implication d’un commercial, même sédentaire.
Quoi qu’il en soit, la segmentation reste le préalable au deuxième exercice incontournable pour optimiser l’organisation et l’efficacité de la force de vente : la création ou la révision de la sectorisation.
Le rôle déterminant de la sectorisation
La sectorisation consiste à affecter à chaque délégué un territoire d’action, en l’occurrence un portefeuille de pharmacies qu’il visitera selon une périodicité à définir. La qualité de la sectorisation détermine en grande partie l’efficacité opérationnelle des délégués, en premier lieu leur capacité à atteindre les objectifs de présence en officine et de volumes de vente. Une sectorisation mal conçue ou bâclée ne peut qu’entraîner des conséquences en cascade : sentiment d’iniquité entre commerciaux, démotivation, turnover excessif, perte d'opportunités… le tout aboutissant à un retour sur investissement décevant.
En tant que DNV, pour que votre sectorisation soit un atout et non un handicap, vous devez veiller aux 3 principes suivants.
L'équilibre du potentiel commercial
Le premier écueil à éviter est la sectorisation purement géographique ou uniquement fondée sur des découpages administratifs (département, code postal, etc.) Cette approche conduit inévitablement à des aberrations : le délégué couvrant le centre de Paris pourra aisément visiter 150 pharmacies dans un rayon de 5 kilomètres, tandis que son collègue chargé de la Lozère et de la Haute-Loire devra parcourir des centaines de kilomètres pour en visiter 110, qui plus est de moindre potentiel.
L'équilibre doit se construire sur le potentiel commercial réel de chaque secteur, ce qui implique de prendre en compte au minimum :
- Les chiffre d'affaires potentiel de chaque officine pour les catégories de produits du laboratoire
- La réceptivité historique aux gammes similaires
- Les officines présentant un fort potentiel de développement
- Les spécificités locales (zones touristiques, bassins de population vieillissante pour certains produits, etc.)
L'objectif est que chaque délégué dispose d'un potentiel de développement équivalent, garantissant l'équité des objectifs et le maintien de la motivation des équipes.
La praticabilité opérationnelle du territoire
Un secteur peut paraître équilibré sur le papier en termes de potentiel, mais s’avérer ingérable sur le terrain. Les réalités géographiques reprennent ici leurs droits, les temps de déplacement constituant le premier facteur limitant. Un délégué qui doit passer 60 % de son temps sur la route pour couvrir son portefeuille ne peut pas être durablement efficace. Il est donc indispensable d’intégrer dans la réflexion des critères tels que : les distances routières réelles (et pas à vol d'oiseau !), les contraintes de circulation (zones urbaines denses, axes routiers, relief), l'accessibilité des pharmacies (stationnement, centres-villes piétonniers), les durées moyennes des visites types…
Une règle empirique consiste à composer des portefeuilles où le temps effectif en officine représentera au minimum 50 % du temps total de travail du délégué.
La cohérence géographique joue également un rôle important. Un secteur doit présenter une continuité territoriale et être le plus compact possible. L’adossement à des limites administratives permet d’éviter les secteurs « en peau de léopard » avec des poches isolées, souvent héritées de sectorisations antérieures, qui compliquent le management et la lisibilité des activités de terrain.
L'homogénéité de la charge de travail
Au-delà du potentiel et de la géographie, il faut évaluer la charge de travail effective que représente chaque secteur. Toutes les pharmacies ne se valent pas en termes d'investissement temps. Typiquement, une pharmacie à fort potentiel nécessite des visites plus fréquentes et plus longues ; les nouvelles ouvertures demandent un effort de conquête important ; certaines officines exigent des présentations avec le titulaire, les adjoints et parfois les préparateurs ; les pharmacies intégrées dans des groupements peuvent avoir des processus de décision différents.
L’équilibrage de la charge de travail doit intégrer ces paramètres qualitatifs. Un secteur avec 100 pharmacies moyennes peut demander moins de travail qu'un secteur de 70 pharmacies dont 30 sont des cibles stratégiques majeures.
Soigner les fondations pour une performance durable
Une démarche de segmentation et de sectorisation bien menée doit vous permettre de constituer des portefeuilles équilibrés pour vos délégués de terrain et de préciser le périmètre que votre laboratoire peut avantageusement confier à une force de vente sédentaire afin d’améliorer son taux de couverture.
Compte tenu du nombre de paramètres à prendre en compte et à pondérer dans ces exercices, mieux vaut vous appuyer sur des outils spécialisés permettant de visualiser la répartition des officines et leur potentiel, calculer automatiquement les temps de trajet réels et simuler différents scénarios de découpage.
Ce type d’outils, ou le recours à un prestataire externe les utilisant, devient d’autant plus indispensable qu’une sectorisation n’est jamais définitive. Le marché évolue : ouvertures et fermetures de pharmacies, rachats, changements de titulaires, émergence de nouvelles zones commerciales. La structure et les priorités de votre laboratoire évoluent également. Pour que votre sectorisation reste optimale, il est vivement recommandé d’effectuer :
- Une revue annuelle des équilibres assortie des corrections indispensables
- Des ajustements mineurs en cours d'année (transfert de quelques pharmacies entre secteurs, par exemple en cas de départ d’un délégué)
- Une refonte complète tous les 3 à 5 ans ou en cas de fusion-acquisition
La stabilité est importante pour permettre à vos délégués de construire leur relation avec les pharmaciens, mais une rigidité excessive de votre sectorisation conduit à des inefficacités croissantes. En révisant régulièrement votre segmentation et votre sectorisation, vous maintenez l’alignement entre les réalités du marché, vos priorités commerciales et les ressources humaines dont vous disposez.
Une fois cette base solide posée, vous pouvez vous attaquer sérieusement aux défis opérationnels que vos équipes rencontrent sur le terrain : l’organisation de leur temps, la création de leurs tournées, la disponibilité des pharmaciens, les contraintes d’espace dans les officines, la coordination entre délégués et attachés à la promotion, le casse-tête des pics saisonniers et des ouvertures de marché… On vous en parle dans un prochain billet !